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Photo du rédacteurRomane Carlin

Soumission chimique : l’enseignement de l’affaire des viols de Mazan

Dernière mise à jour : 31 déc. 2024


Couverture du livre de Carolina Darian J'ai cessé de t'appeler papa

« Le viol ordinaire n’existe pas, le viol accidentel ou involontaire non plus » : cette phrase prononcée par l’avocate générale Laure Chabaud, représentante du ministère public dans l’affaire des viols de Mazan, est particulièrement bien pesée et pensée. Car s’il n’existe pas de viol ordinaire, accidentel et/ou involontaire ceux perpétrés par Dominique Pélicot et ses complices, par leur ampleur et leur durée, relèvent de l’inimaginable.

Certaines affaires judiciaires (criminelles, financières, politiques) apportent des enseignements qui entraînent des modifications dans l’organisation sociale : changements de perceptions et de comportements dans la société, créations ou amélioration de lois et processus au niveau des institutions publiques et/ou privées. L'importance de la soumission chimique dans les agressions sexuelles est l'enseignement de l'affaire des viols de Mazan, qui a ainsi provoqué une prise de conscience majeure. Il y a plusieurs aspects choquants et considérables dans l’entreprise criminelle mise sur pieds par Dominique Pélicot. J’écris « entreprise criminelle » car, à la fois, le viol est un crime, et l’instigateur de celui-ci en avait fait une véritable entreprise, par la durée et l’accumulation des faits, l’organisation minutieuse, la démesure, le recours à des complices (des « associés » en langage d’entreprise). Mais l’enseignement qui sera tiré de cette affaire et entraînera des changements au niveau des personnes et des institutions, a trait à la mise en lumière du rôle de la soumission chimique utilisée comme arme du viol.

Jusqu’à la découverte de cette affaire, le recours à la chimie médicamenteuse en vue de commettre des abus sexuels était limitée, en tout cas pour ce qu’en savait le public, à l’utilisation de la GHB (gamma hydroxybutyrate), la « drogue du violeur », en général versée dans une boisson, souvent en boîte de nuit. Cependant, dans le cas de la GHB, il ne s’agit pas vraiment de soumission chimique, mais plutôt de neutralisation temporaire d’une personne, la soumission incluant les notions d’état permanent et de durée longue.

 

Un processus révélé mais pas nouveau

 

Le concept de « soumission chimique » a donc été découvert, ou révélé, par l’affaire de Mazan, mais il semble que son existence ne soit ni nouvelle, ni exceptionnelle. Mais comme souvent, il était ignoré et inimaginable, précisément parce qu’il était inconcevable pour la plupart des gens sains d’esprit. Outre les aspects criminels de l’affaire et ses répercussions sur toute la famille de la victime (l’épouse) et du coupable (le mari), la soumission chimique constitue l’un des thèmes majeurs du livre écrit en 2022, durant la procédure, par Caroline Darian, la fille de la victime et du criminel : Et j’ai cessé de t’appeler papa. Ce témoignage a donné lieu à la réalisation d'un documentaire diffusé sur France2 le 21 jnvier 2024, après le verdict du procès. Cependant, le temps des institutions n’étant pas celui des personnes, il a fallu attendre l’ouverture du procès lui-même, en septembre 2024, pour que le recours à la soumission chimique avec des intentions criminelles soit porté sur la place publique et que des instances sociales et médicales et des personnalités du monde politique s’emparent du sujet.

En octobre 2024, le Conseil national de l’ordre des médecins (Cnom) a interpellé les pouvoirs publics sur la gravité et l’urgence de la question de la soumission chimique, désigné comme « un phénomène en recrudescence », ce qui semble signifier qu’il était déjà identifié, mais que les signalements effectués par le corps médical n’avaient pas été pris en compte par les pouvoirs publics. Les points sur lesquels les médecins demandent une action, concernent particulièrement la simplification de l’accès à des tests de détection et à leur remboursement (un coût de l’ordre de 100 euros), et la formation des médecins, qui sont en première ligne, à identifier les signes de soumission chimique.

 

Des voix entendues mais encore du chemin à faire

 

Dans son livre, Caroline Darian souligne le manque de réactivité de médecins et spécialistes consultés par sa mère, qui n’ont pas su détecter ou soupçonner l’origine potentielle des problèmes physiologiques et neurologiques qu’ils avaient pourtant constatés. Sans oublier l’étonnante facilité de son père à se procurer d’énormes quantités de médicaments puissants, sans éveiller la suspicion des médecins et des pharmaciens.

Parallèlement, début octobre, un député, citant la victime Gisèle Pélicot, avait interpellé la ministre de la Santé sur les questions de l’inertie ou du manque d’expertise de certains acteurs du monde médical et de la nécessité d’améliorer la prise en charge de personnes qui présenteraient des signes de potentielle soumission chimique.

Une autre députée, elle-même victime de soumission chimique de la part d’un sénateur, avait déjà, en novembre 2023, témoigné sur ce qu’elle avait subi afin d’alerter les femmes et interpeller les pouvoirs publics sur cette question. 

Portée par l’émotion générale suscitée par cette affaire sordide et le témoignage courageux et lucide des victimes (qui sont au moins au nombre de deux, puisque Caroline Darian a également été victime de son père), ces diverses voix ont enfin été entendues par les pouvoirs publics. A l’approche de l’issue du procès, le gouvernement a lancé une campagne d’informations destinée à aider les victimes potentielles de soumission chimique. Le projet a été formulé de permettre à ces victimes, potentielles ou avérées, de pouvoir déposer plainte dès leur hospitalisation, alors qu’en l’état, la législation leur imposait de le faire dans un commissariat, avec les contraintes liées au délai et aux difficultés matérielles et psychologiques que cette démarche impose.

Le 25 novembre 2024, journée internationale de la lutte contre les violences faites aux femmes, le Premier ministre Michel Barnier a annoncé l’expérimentation du remboursement de « kits de détection de soumission chimique ». Une mesure qui paraît symbolique en l’état, car mise en œuvre à titre expérimental, limitée à certains départements et liée à la délivrance d’une ordonnance. On voit qu’il y a encore du chemin à faire. Mais le mouvement est amorcé et il ne sera pas possible de s’en tenir à des mesurettes.

 

Barrières psychologiques

 

Il reste cependant des barrières à franchir, non des moindres, qui concernent en l’occurrence en majorité des femmes, mais sans doute aussi, on peut et on doit le craindre, des enfants : la difficulté à surmonter d’éventuelles limitations psychologiques pour agir et se signaler en tant que victime, ou signaler des victimes. Il ne s’agit pas d’un aspect mineur, car l’on sait le temps, qui se compte en décennies, qu’il a fallu pour libérer la parole des victimes d’agressions sexuelles. Et l’on sait aussi que cette parole, qu’il s’agisse de celle des victimes elles-mêmes ou de celle de leur entourage éventuellement témoin ou ayant connaissance des faits, reste encore étouffée s’agissant souvent d’agressions intrafamiliales ou en milieu scolaire ou professionnel.

Ces difficultés psychologiques et les étapes à franchir sont nombreuses. La première est la vigilance. C’est-à-dire la capacité d’une personne, plus encore quand elle est fragilisée, à s’interroger lucidement sur des signaux susceptibles de signifier que l’on est victime d’une tentative de soumission chimique. Or, il est délicat, à la fois, d’être à l’écoute de son entourage et de soi-même, c’est-à-dire de se comporter en tenant compte de l’existence potentielle d’un danger, sans tomber dans la paranoïa et sacrifier ses relations sociales et amoureuses. En cas de doute (suspicion de comportements malveillants, constat de troubles de la mémoire et/ou psychomoteurs), il est donc fortement recommandé de se confier à des professionnels de la psychologie et de la médecine, qui possèdent l’expertise nécessaire pour évaluer les situations, les risques éventuels, et si cela leur apparaît nécessaire, les processus à mettre en place.

Une autre difficulté, corollaire, réside dans cette prise de décision de se confier ou de signaler un comportement douteux ou avéré.

Ces difficultés, qui ne sont pas les seules, exigent donc de la part des professionnels (agents sociaux, psys, médecins), d’être eux aussi vigilants à détecter et interpréter les signes de potentielles soumissions chimiques chez des personnes et des patients qu’ils ont à entendre ou examiner, en l’absence de parole de la part de ces personnes, qui se tairaient soit parce qu’elles ne sont pas conscientes de leur situation, soit parce qu’elles n’ont pas la force psychologique de parler, éprouvent de la honte, ont peur des conséquences ou sont sous l’emprise de leur agresseur.

Mais la première personne concernée, c’est la victime potentielle. C’est elle seule qui, au tout début de la chaîne, peut enclencher la chaîne de décisions qui lui permettront de se sauver en cas de danger supposé ou avéré. En qualité de psychothérapeute, j’insiste donc sur la notion de vigilance, car l’âme humaine recèle des abysses parfois sombres et difficiles à sonder. En cas de doute, faites-vous d’abord confiance à vous-même, il sera toujours temps ensuite de réviser une erreur de jugement.

Sources :

-  Et j’ai cessé de t’appeler papa (2022, éditeur Jean-Claude Lattès, réédité par Harpers Collins)

- Communication du Conseil national de l’ordre des médecins : https://www.conseil-national.medecin.fr/publications/communiques-presse/soumission-chimique

- Question du député Damien Maudet à la ministre de la Santé : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/questions/QANR5L17QE592

- Témoignage de la députée Sandrine Josso : https://www.youtube.com/watch?v=2MA8vfdfL68

- Déclaration du Premier ministre Michel Barnier : https://www.youtube.com/watch?v=X_JO7uS0R1c

NB : les sources citées ne sont qu’un échantillon des informations et des sources disponibles.

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