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Photo du rédacteurRomane Carlin

Des femmes amoureuses de tueurs : une enquête de Valérie Benaïm

Dernière mise à jour : 7 déc. 2024

Il n'est pas celui que vous croyez. Ces femmes amoureuses de tueurs en série.

Auteur : Valérie Benaïm

Parution : février 2024 (Fayard)


Pourquoi j’ai lu ce livre.

Pourquoi j’invite à le lire.


couverture du livre de valérie Benaïm il n'est pas celui que vous croyez ces femmes amoureuses de tueurs en série Silhouette de femme sur fond noir et blanc
Couverture du livre de Valérie Benaïm

C’est à la fois en qualité de femme et de psy que je me suis intéressée à l’ouvrage de Valérie Benaïm (Le Goût des Autres, TPMP...), et si j’ai bien compris sa démarche, c’est à la fois en qualité de femme et de journaliste, qu’elle a été interpellée par ce sujet. Elle a décidé de répondre à son questionnement, et ce faisant, de répondre ou tenter de répondre aux questions que l’on se peut se poser au sujet des femmes amoureuses de tueurs.

Son ouvrage est le fruit d’une enquête minutieuse sur ce phénomène complexe et déstabilisant : des femmes parfaitement intégrées socialement, qui n’ont jamais entretenu aucun lien avec le monde de la délinquance, qui entreprennent des relations épistolaires avec des tueurs qu’elles ne connaissaient pas auparavant, condamnés pour des crimes parfois atroces, certains précédés de viols, et dont elles tombent amoureuses, jusqu’à parfois leur sacrifier leur vie de famille, professionnelle et sociale. Comment ces femmes peuvent-elles choisir une voie, qui de prime abord, pourrait sembler au contraire repoussante, malsaine ou effrayante ? En tant que psy, j’y ai retrouvé dans ces histoires des comportements, des schémas, similaires au vécu de beaucoup de personnes dans leur vie quotidienne. Dans une moindre mesure certes, mais susceptibles néanmoins de bouleverser leur vie, avec des conséquences comparables à celles subies par certaines des femmes rencontrées dans le livre de Valérie Benaïm. 

En tant que journaliste, Valérie Benaïm a voulu permettre au public de tenter de comprendre le cheminement mental de ces femmes amoureuses de criminels, et les conséquences sur leurs chemins de vie. Comprendre et seulement comprendre. Ni excuser, ni justifier, ni porter de jugement ni opinion personnelle. Alors en quoi cette tentative d’explication est-elle utile ? A beaucoup d’égards sans doute, chacune et chacun a ses raisons. Pour ma part, en tant que psy, j’ai cherché des enseignements à tirer de ces histoires hors du commun, pour les transposer précisément dans le commun. C’est-à-dire à des schémas du quotidien liés aux processus d’emprise et de manipulation. Et à ce qui les sous-tend : fascination, syndromes.

Valérie Benaïm a plongé, quasiment en apnée tant le sujet est rude et angoissant, dans ce monde troublant. L’entreprise présentait des pièges : le sensationnalisme, le voyeurisme, la psychologie de bazar. La journaliste a évité les deux premiers en se (con)centrant sur son sujet : seulement son sujet, mais tout son sujet. Sauf à une exception près (dans un cas extrêmement différent des autres), elle n’entre pas dans le détail des affaires meurtrières commis par les condamnés, les lecteurs pouvant facilement s’informer par ailleurs (Internet, presse, documents, films...) Elle va en revanche aussi loin qu’il lui est possible dans ses échanges avec les femmes qui ont accepté de lui répondre.

En ce qui concerne la facilité de la psychologie de café du commerce, elle a évité de s’y égarer en tenant son rôle de journaliste, qui consiste à recueillir l’information, la rendre compréhensible et la transmettre. Et là encore, seulement l’information, mais toute l’information : outre des femmes, elle a rencontré des experts et des professionnels du monde judiciaire rompus au monde des criminels (psychiatre, criminologue, avocats, personnel pénitentiaire). Son travail offre ainsi une étude étayée et fascinante sur un phénomène complexe et souvent mal compris.

En tant que psychothérapeute, j'ai été impressionné par le travail documenté, objectif et néanmoins nuancé de Valérie Benaïm. Elle a su conjuguer son intégrité et sa rigueur de journaliste, avec ses capacités personnelles de bienveillance, d’empathie et de non-jugement. À travers les témoignages exprimés dans son livre, elle soulève des questions profondes sur l'emprise, la manipulation, l’amour, les relations humaines, les schémas qui se répètent ou non, et bien que le thème (l’amour pour un criminel) soit commun à toutes les femmes rencontrées, l’auteur met en exergue la singularité de chaque personne.

De ses échanges avec ses interlocuteurs se dégage notamment un constat qui va à contre-courant : les femmes peuvent aussi manipuler des hommes, et ceux-ci peuvent se trouver sous l’emprise de ces femmes. A mes yeux, ces témoignages soulignent la nécessité d'affiner notre compréhension d’événements susceptibles d’entraîner des réactions tranchées, en les replaçant dans le contexte de la vie quotidienne.

Valérie Benaïm met en lumière les phénomènes de fascination, le « rôle du sauveur », de « l’infirmière », déclenchés par le passé, le vécu et/ou liés à la personnalité (choix conscients et/ou inconscients) de la chaque personne. Les échanges avec des professionnels permettent de réfléchir au positionnement des protagonistes : les condamnés enfermés, parfois isolés, dont le seul lien avec l’extérieur, les seules possibilités de dialogue, d’échanges, d’un semblant de vie, sont incarnés par ces femmes qui, elles, sont libres.

Encore une fois, car c’est mon objet, en qualité de psychothérapeute, je considère que ces histoires constituent des schémas, extrêmes certes mais précisément édifiants, à comparer avec des situations de la vie quotidienne. La lectrice, le lecteur de Valérie Benaïm, s’ils prennent le temps de réfléchir au-delà du seul jugement instinctif, peuvent utilement se questionner, se « mettre en question(s) » : pourrais-je vivre une relation d’amour avec un meurtrier (ou une meurtrière) ? Pourrais-je vivre ou ai-je vécu la situation qui consiste à être amoureuse (ou amoureux) d’une personne que tout semble séparer de ma vie et de mes valeurs morales ? Ai-je été, suis-je sous emprise dans ma vie quotidienne ? Pourquoi ? Comment cela a-t-il commencé ? Quelles conséquences pour mon vécu ? Ai-je des responsabilités dans cette fascination ? Dans cette emprise que je subis ? Suis-je dans cette situation parce que j’ai souhaité me donner un rôle (de sauveur, d’infirmière) ? Puis-je m’en dégager ? Ai-je envie de m’en dégager ?

Tout en démontrant, c’est l’intérêt des témoignages, que chaque situation est différente parce que chaque personnalité, chaque être humain est à la fois singulier, mais riche d’un univers infini de possibilités. Cela vaut pour soi-même, et cela vaut pour les autres.

Ainsi cette enquête bouscule le lecteur, au sens où elle ouvre une réflexion sur la compréhension de soi-même et de l’autre, du monde et de soi. En lisant ce livre avec un esprit curieux, ouvert et lucide, on peut apprendre à se connaître en analysant nos réactions : colère, mépris, incompréhension, jugement, tristesse, attendrissement, compréhension, bienveillance… A ce titre, l’ouvrage de Valérie Benaïm contribue à permettre au lecteur d’élargir sa vision intérieure et extérieure, donc d’ouvrir son esprit, et in fine, de grandir. En ce qu’il impose de s’interroger sur soi-même autant que sur les autres, quelle que soit la conclusion de chacun, il apporte une leçon d’humanité.

 

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